de Gil Pidoux

Cher Valdo, mon vieux jeune frère

Nous voici derrière la vitre de ton studio d’enregistrement, laboratoire des empreintes sonores, guettant tes signes au reflet qui nous sépare et il n’y a plus de signes. La lumière verte, après la rouge s’est éteinte à jamais, l’écume du silence fait un bruit imperceptible à nos oreilles dans les circuits secrets des métamorphoses. Tu ne nous enverras plus, dans le casque, le bruitage ou la musique que tu avais subtilement choisie. L’écran de ton ordinateur n’est plus qu’un mur opaque, une carte de visite désormais privée de l’identité des paroles. Nous voici dans la coulisse de notre passion commune, sur les trétaux de notre folle jeunesse et tout au long de notre existence, réunis par l’éphémère magie du théatre, où tu fus un prodigieux Père Ubu. Un intolérable silence nécessaire s’est fait en ce dimanche 29 décemble 2013, et tu n’improviseras plus d’étonnantes tirades, de saugrenus jeux de mots et nous n’entendrons plus tes rires gargantuesques. Tu demeureras pourtant ce personnage inimitable, doté d’une énorme présence, qu’on croirait tiré d’un pitoresque roman populaire, animé tout à la fois des songes fous de Don Quichotte et de la ronde sagesse de Sancho Pancha. La roue du moulin des jours ne tournera plus. Mais il reste au moins la farine et le levain de l’amitié au moule de notre coeur. Nous en ferons le pain de notre mémoire. Que de mémorables séquences, d’incroyables chapitres auront à évoquer tes innombrables amis, stupéfaits de ta si rapide et si courageuse sortie de scène. Valdo, je te parle aujourd’hui démunis des mots qui voudraient au nom de tous, témoigner de notre reconnaissance, de notre fraternel attachement, de notre étonnement aussi devant ton infatigable activité au service de l’art et de la communication, de ce qu’il y a de plus humain dans l’homme, de plus espérant dans l’espoir, de plus généreux dans la générosité qui n’est pas une formule creuse.

Valdo, mon fère, ma vieille pomme, comme disaient certains de tes plus proches amis, je voudrais ici, bien que maladroitement, rendre hommage à ta revigorante gaîté, à ta tendresse sans pathos, à ton exigence de capteur de sons et de sens, patient magicien des effets sonores, sourcier de l’émotion, sorcier de la technique, dédiée tout entière à la beauté et à la vérité. Tu avais quinze ans quand je t’ai connu et déjà tu nous rassemblais dans le salon de tes parents, en ayant percé le mur, pour que nous puissions communiquer. Une toile d’araignée, deux fils reliaient ton premier magnétophone à des acteurs célèbres qui de Marguerite Cavadaski à Paul Pasquier, dont tu fus l’élève comédien, te faisait confiance, il y en a eu tant d’autres depuis.

Dans la caverne d’Ali-Baba du studio que tu fis construire, mieux que ta maison, repose tant de trésors sonores dont tu fus le régisseur, le créateur et l’accordeur.

Grâce à toi, ces musiques, ce folklore authentique, ces voix et ces chants ne sont pas perdus. Nous les garderons précieusement, comme nous garderons au delà de larmes, le souvenir d’un homme, d’un ami, d’un compagnon qui nous a permis de nous épanouir hors des pauvres richesses matérielles, qu’il nous faudra tous, à notre tour, un jour, abandonner.

Au revoir Père Ubu, au revoir et salut mon frère. Merci d’avoir été cet homme, ce monsieur sans suffisance ni vanité au service de la vie, ce cadeau journalier de l’éternité.

Salut

Gil Pidoux, 2 janvier 2014

Lu par l’auteur lors des obsèques de Valdo Sartori